Au pays d'Henri Michauxla dialectique de l'espace et du temps dans son oeuvre écrite
Universitat de defensa: Universitat de Barcelona
Any de defensa: 1990
- Gabriel Oliver Coll President/a
- Alicia Piquer Desvaux Secretària
- Fátima Gutiérrez Vocal
- Raymond Bellour Vocal
- Claudio Guillén Cahen Vocal
Tipus: Tesi
Resum
RÉSUMÉ:Cette thèse est une description des images qui tissent l'oeuvre écrite d'Henri Michaux, et un essai de discerner les traits qui organisent la cohérence imaginaire de cette oeuvre. Son objet est donc de décrire la richesse d'images, de symboles, de paisajes imaginaires qui configurent l'espace de l'oeuvre michaudienne et qui, par conséquent, nous dévoilent aussi la conception du temps de son auteur. Michaux construit des espaces particuliers afin de se soustraire au temps dévorant, mais à la fois il emploie des ressources temporelles, comme le rythme, pour combarte les menaces de l'espace qui l'entoure. L'espace et le temps sont, de cette façon, à la fois complémentaires et contradictoires.L' "espace michaudien" est formé, en realité, de trois espaces. Le premier est celui de l'agression, du combat contre le pasaje du temps. Plusieurs critiques ont signalé la violence exacerbée qui s'étale dans de nombreux textes michaudiens. Cette pulsion agressive est particulièrement décharnée dans les scènes qui dépeignent un corabat singulier, aux échos parfois mythiques, entre deux êtres, dont l'un est souvent un monstre. L'antagonisme belliqueux est aussi présent dans le schème dïaréctique, traduit par des images spatiales (le mur, le labyrinthe, les armes tranchantes... ) qui correspondent aussi à une dimension temporelle; la séparation de I' "avant" et I' "aprês" est à la base de l'ordonnance chronologique du temps et équivaut à la dichotomie entre le "haut" et le "bas" dans le plan spatial. La création de cet axe vertical répond d'ailleurs à un autre schème, l'ascensionnel, qui joue également un rôle significatif dans l'imaginaire michaudien. Il se manifeste à travers plusieurs images, dont les plus récurrentes sont la montagne, la flèche, l'arbre, l'escalier et l'oiseau. Ce dernier matérialise le "rêve de vol", qui apparaît fréquenment chez Michaux, favorisé par des facteurs physiques, comme le sommeil, la consommation de drogues, la fatigue ou la maladie, tous des états où la perception est altérée. Ce réve a une signification éthique (le désir de s'élever au-dessus de la matérialité rabaissante), mais possède aussi des connotations négatives pour le poète: la verticalité peut représenter la puissance contraignante des circonstances sur l'homme.L'hostilité de l'espace extérieur se manifeste surtout par la loi de la pesanteur, poussée à l'extrême dans l'univers michaudien. Les objets qui entourent le sujet possèdent une solidité écrasante. Un autre trait définissant cette hostilité est le manque de docilité des objets, en principe inanimés, qui se resistente à être utilisés par l'homme. Pour contrecarrer ces désobéissances continuelles, l'auteur met en oeuvre des "rêves compensatoires", agissant comme un démiurge gui contrôlerait même le cours des événements, c'est-à-dire le passage du temps. La lutte contre l'espace et le temps est, en général, gagnée par ceux-ci. Cette démarche se révèle donc peu satisfaisante; elle procure de rares moments toniques, mais elle entraîne aussi bien des défaites.Le deuxième espace que Michaux définit répond à une stratégie opposée. L'individu essaie de s'intégrer dans l'espace extérieur, au lieu de s'opposer à lui ou de le combattre. Cette intégration se réalise d'abord moyennant la perte des limites corporelles; l'être ne se ressent plus comme une unité différenciée du reste, mais s'assimile au cosmos, ce qui est d'ailleurs une façon de se défendre contre les agressions spatiales. L'horizontalité domine dans cet espace, opposée à la verticalité du premier. En rapport avec l'horizontalité placide se trouve l'image de la sphère, très répandue chez Michaux sous de multiples formes. Elle représente un refuge intérieur, intrinsèque à l'être, puisqu'elle est à la fois contenant et contenu. D'autres refuges chers â Michaux sont l'île, le bateau et, spécialement, la chambre, qui ne possède pas la solidité et l'immuabilité contraignante de la maison paternelle. Celle-ci n'est pas sécurisante parce qu'elle recèle l' "achevé", qui est tellement négatif pour Michaux, partisan de la fluidité constante de la création. L'écrivain déteste le côté "socialisant" de la maison et lui préfère les constructions oniriques des pays imaginaires, demeures affectées d'un perpétuel changement, ou bien la hutte, et surtout la chambre. La chambre transitoire n'a pas les connotations de propriété, de solidité contraignante; étant impersonnelle et nue, elle protège celui qui l'habite des agressions extérieures, mais le laisse beaucoup plus libre, et ne l' "attache" pas.Le désir de se réfugier dans l'intimité parfaite est aussi perçu dans le schème de l'avalage et dans la valorisation de l'intériorité du corps. L'engloutissement dans un autre être peut constituer une expérience spirituelle, presque mystique, puisqu'il signifie la fusion avec l'Autre. Nous apprécions ici la différenciation que fait Michaux entre la fusion avec l'Autre cosmique, qui est très gratifiante, parce qu'elle implique l' "émiettement du je", c'est-à-dire la défaite de la volonté individuelle, tellement dirigiste, et d'autre part l'assimilation avec l'Autre social, qui est nuisible parce qu'elle entraîne un asservissement aux pouvoirs socialisants de l'entourage. Le fantasme de l'engloutissement est souvent produit dans l'union amoureuse, comportant aussi une symbiose avec l'autre, de nature contraire.Le troisième espace construit par le poète n'est pas une synthèse des deux précédents, mais autre chose. Il n'essaie ni de combattre ni de nier, mais de concilier l'espace et le temps. Cela doit se faire à travers le dépassement des couples paradoxaux; le rythme, par exemple, est une harmonisation de la répétition et de la variation, qui sont à la base de la conception même de rythme. Celui-ci est fait de permanence et de changement; ces deux notions font partie aussi du schème de la métamorphose, qui apparaît dans de nombreux textes michaudiens. Elle signifie une renaissance éternelle, et aussi une multiplication de l'identité individuelle, qui se résout dans l'éclatement de cette individualité. Cette "fragmentation" du moi unique est bénéfique et en même temps douloureuse pour l'être; si le "je" se décompose, le passage du temps perd son importance, cesse même d'exister. Le temps, effectivement, nlest angoissant qu'en rapport avec ce "je" individuel, avec les changements et la degradation que celui-ci pouvait expérimenter; s'il disparaît pour s'intégrer dans un univers qui le transcende, il surmonte ainsi la peur de la propre mort et de la disparition, sentiment inséparable de la terreur que le temps chronologique inspire. La résolution de l'angoisse temporelle est donc paradoxale en soi, puisqu'elle passe par la disparition de l'être individuel, disparition qui était le fondement de cette angoisse.L'oeuvre de Michaux se constitue donc comme une "tension dynamique d'opposés". Ce dualisme fécond anime toute sa production littéraire, qui est faite de plusieurs contradictions: entre le "rêve d'action" et le "rêve de contemplation"; entre le mouvement tonique et le repos souhaité, entre la fluidité essentielle à la vie et l'immobilité rassurante ... Cette oeuvre pourrait ainsi être définie comme un balancement continu entre des pôles opposés, pour ne jamais trouver l'équilibre.Une caractéristique particulière de l'écriture michaudienne est sa capacité pour exprimer des intuitions métaphysiques moyennant des images et des actions très concrètes. Parallèlement à cette aptitude à "réaliser la rnétaphore", on peut aussi observer un processus d' "abstractisation progressive" dans cette oeuvre, qui est soumise à un dénuement de plus en plus grand. Celle-ci est donc la contradiction primordiale de la dénarche michaudienne: elle rend compte de l'inefficacité de la parole à travers cette parole même; elle affirme l'impossibilité et la futilité de l'écriture moyennant l'écriture.